NOUVELLE TERREUR (13)

Tout aurait pu continuer à être pour le mieux dans le meilleur des mondes. Hélas, l'histoire est là pour démontrer qu'on n'a jamais davantage rêvé de paix que lorsqu'on se faisait la guerre... La revoici à nouveau ! 




A l'aube de son règne, le roi Léopold III monté sur le trône en 1934 se voit confronté aux menaces qui ressurgissent du côté de l'Allemagne. A partir du mois d'août 1939, l'armée est mobilisée puis le 10 mai de l'année suivante le IIIe Reich attaque le pays. L'agression est foudroyante: dès la première journée le front du canal Albert est enfoncé et des nuées d' avions bombardent villes, aérodromes et voies de communication. La résistance des 650 000 mobilisés, si héroïque qu'elle soit, ne peut contenir le choc de cette armée qui utilise des méthodes de combat dont ils n'ont aucune expérience: débarquement de planeurs silencieux dans la semi-obscurité, éparpillement de parachutistes derrière les lignes de défense et assauts massifs d'avions qui détruisent ou paralysent à la bombe et à la mitrailleuse tant les organes de résistance que les unités en mouvement. Le 28 mai suivant, à 4 heures du matin, Léopold III signe la capitulation sans conditions de la Belgique. 


Dès le début des hostilités, le village est à nouveau entraîné dans la guerre. Le matin de l'attaque du 10 mai des avions vrombissent dans le ciel... et continuent plus loin. Ce n'est pas pour cette fois-ci mais les événements ne se feront pas attendre puisque peu de temps après, l'armée allemande se fixe comme objectif d'entraver la retraite des Alliés qui vont converger vers Dunkerque. Les bombardements commencent, l'Ecole des Filles est touchée, sa toiture brule, les ornements de procession confectionnés avec zèle et patience partent en fumée. L'armée est arrivée: motos, cavaliers, chenillettes, fantassins... La panique et la peur s'installent, c'est que les événements de 14-18 sont encore présents dans toutes les mémoires. Va-t-on connaître le même anéantissement ? Non, on ne détruira plus ou presque plus mais on s'acharnera à miner davantage la psychologie que la propriété. Réquisitions, rafles, couvre-feux, confiscations, interdictions, deviennent monnaie courante. Les denrées de première nécessité se font rares, le marché noir s'installe pour pallier aux insuffisances du système de ravitaillement par timbres. Il n'y a plus de travail dans les usines qui toutes ferment leurs portes. Le cercle infernal de la faim et des privations emporte une grande partie de la population qui lutte comme elle peut pour subsister. Des noyaux se sont formés: certains collaborent avec les forces occupantes, d'autres résistent mais leur tâche est périlleuse. Ils risquent leur vie mais se voient restreints à une action très limitée, tous savent que le moindre coup porté se solderait par des représailles comme devraient en connaître des villages voisins. Les hommes adultes sont recherchés pour le travail obligatoire, les jeunes pour l'enrôlement dans l'armée. On se cache, on se méfie, l'anxiété est seule maîtresse. Ici on regrette l'absence du père dont on sait qu'il est prisonnier, sans plus; là, c'est un fils qui doit se dissimuler jour et nuit... 

En 1942 le bourgmestre M. Alfred Lecomte est frappé par une mesure de suspension (89). Wehrmacht et Gestapo sont les dirigeants.


Des drames se déroulent: le 9 septembre 1943 l'aviation anglaise commet une erreur lors d'un bombardement. Une trentaine d'avions lâchent un millier de bombes de 3 kg sur les terres allant de la gare du Touquet au pont d'Houplines (90). Dix-huit civils succombent et viennent s'ajouter à la liste des victimes militaires que l'offensive initiale a déjà emportés. Des arrestations ont lieu en novembre 1943 et en juillet 1944 (91). Certains reviendront de l'enfer des camps à la fin de la guerre, d'autres y mourront ou peu après. Derrière leurs noms gravés sur les stèles du monument aux morts érigé sur la Place des Rabecques doit se lire la détresse qu'ils ont connue : tortures, faim, froid, peur, exténuement,... 


Entretemps l'armée allemande commence à s'essouffler. Ses défaites et ses replis sous des ciels plus tourmentés que le nôtre sont le signe qui permet d'augurer le début de la fin. Le 6 juin 1944 les forces anglo-américaines débarquent en Normandie et la débâcle germanique suivra peu après. Quand la libération du village sera imminente, les troupes cantonnées au Domaine Paroissial incendient le dépôt emmagasiné dans le préau. A partir du mois d'août 1944 un cortège incessant traverse le village mais dans le sens opposé à celui de mai 40. Il a une autre couleur, il est devenu vert-de-gris (92). 

Au cours de cette retraite, un dernier drame se produit. Des canonniers allemands se dirigeant vers Ploegsteert voient un attroupement rassemblé à l'extrémité est de la rue Dansette. Ce sont des civils qui regardent passer le défilé interminable. Les servants s'arrêtent, pointent la pièce, abaissent la gueule du canon et une détonation retentit avant qu'ils ne reprennent la route. Là-bas, à quelques centaines de mètres, trois personnes sont touchées mortellement. S'agit-il d'une méprise ? Est-ce une vengeance pour avoir été harcelés par des Résistants " de plus en plus nombreux" ? Nul ne le saura jamais (93). 
C'est la dernière tragédie avant que n'arrivent les colonnes anglaises le 6 septembre 1944. On les savait proches, on savait la libération imminente et, enfin, ce jour est arrivé. 
La liesse explose pour acclamer cette armée qui monte d'Armentières vers Ploegsteert. Des drapeaux britanniques sont confectionnés en hâte, on les agite, on applaudit, on rit, on crie, on chante, on danse... Les difficultés ne sont pas toutes finies mais une aube nouvelle vient de se lever. La guerre se termine, la paix pointe à l'horizon. 
L'effigie d'Hitler sera brûlée; dans les lueurs rougeoyantes les regards brilleront des mille feux de la joie. Tous ? Non pas ! Cà et là règnera l' amertume de voir s'achever une époque qui avait meurtri beaucoup.. mais pas tous. 



(Cette photo est la couverture originale de la publication.
Ce grand bâtiment a cédé la place depuis très longtemps à une “station de carburants)



LES LOISIRS S'ORGANISENT (12)

Les besoins impérieux étant satisfaits, il est loisible maintenant consacrer son temps à ce qui rend la vie plus agréable. On se déride, on se délasse, on s'associe... et on se politise. Des clans se forment à partir des idées que l'on défend; celles-ci marqueront fortement l'organisation des groupements sociaux, culturels, sportifs, ... Nous ferons volontairement abstraction des dissidences qui ont abouti par teinter les associations diverses de couleurs politiques bien définies. 

La palme de la société doyenne revient à la Fanfare Saint-André qui a vu le jour en 1906 grâce à l'initiative de M. Gustave Samyn (79). Il est étonnant de savoir qu'à ses débuts, la fanfare ne regroupe que quelques amateurs se réunissant occasionnellement pour animer danses et manifestations quelconques. Très tôt l'idée d'une vraie fanfare commence à germer et quelques pionniers encouragés par l'ardeur de leur premier directeur consacrent temps et argent afin de promouvoir la musique et gonfler les rangs avec de nouvelles recrues. Les progrès sont rapides, à un point tel que dès 1911 M. Samyn reçoit à Roubaix l'honneur du "Premier Prix du Chef". La renommée des musiciens de Saint-André arrive aux localités environnantes. Lors des festivités on s'y rend au moyen de la diligence de M. Henri Delbecque, si étroite pour emporter tous les membres que les plus audacieux se voient obligés de prendre place sur l'impériale. 


Après l'Armistice de 1918, si la guerre a beaucoup détruit, elle n'a pas pour autant abattu l'enthousiasme musical des membres. Les embouchures sont resserrées, les peaux sont retendues et les flonflons résonnent à nouveau. Tant et si bien que toute la région vibrera aux accents sonores des Bizétois. Les temps ont changé, les déplacements se modernisent : les autos et camions de M. Vandewynckele sont souvent utilisés. De longs voyages sont envisagés: Anvers en 1930 et Bruxelles en 1935. 
Malgré certaines difficultés, le renom ne fait que croître.  
Hélas, les événements de 40-45 vont interrompre les activités... mais pas la passion. Dès la fin des hostilités, les instruments ressortent de leurs cachettes et commence alors une nouvelle période qui verra monter bien haut la qualité artistique du groupement. Les baguettes des deux derniers directeurs, M. Joseph Baudrez et M. Jean Liefooghe, maniées avec tact et ténacité ont permis de faire la preuve de compétence musicales indéniables. Dernièrement, à partir de 1970, afin de satisfaire à une certaine mode demandant que l'ouïe et la vue soient pareillement flattés lors des manifestations, un groupe de majorettes est venu affiner les prestations des musiciens. Les premiers titres obtenus dans les championnats ne laissent nul doute quant à la qualité des spectacles qu'elles ont pu offrir. 

Soulignons encore le plus grand mérite de cette association: celui d'avoir été intimement liée depuis 80 années aux événements tantôt joyeux tantôt tristes de la localité. Si certains jours les tambours ont rythmé des marches funèbres, il en est beaucoup d'autres où les cuivres ont sonné l'invitation à d'égayantes festivités. 


L'art musical dans le village ne se limite pas à cette seule fanfare. D'autres groupements ont égrainé bien des notes après la guerre 14-18. Citons à ce propos la société l'Avenir qui, quoi qu'elle ait été d'une notoriété non négligeable avec sa trentaine de membres sous la présidence de M. Désiré Libbrecht, n'a connu qu'une activité très éphémère puisque lancée en 1927 elle disparut quelques années plus tard (80). 

Une association parallèle doit encore être mentionnée, il s'agit d'un groupement d'accordéonistes qui n'a pas perduré mais aura toutefois été suffisant pour susciter les passions qui ont animé les réjouissances jusque longtemps plus tard (81). 

L'art choral a également connu ses périodes de gloire, particulièrement avec l'orphéon La Lyre des Flandres. Fondé vers 1922 sous la présidence de M. Alfred Lecourt, ce groupement qui avait son siège à la Haute Loge connut un succès certain puisque des documents rapportent des déplacements éloignés et une cinquantaine d'adhérents se réunissant pour les répétitions bi hebdomadaires (82). 

Deux autres groupements dont les exercices ont été également méritoires mais limités à un contexte plus précis sont les Chorales Saint-André qui ont assuré, vraisemblablement depuis la fondation de l'église, chants et cérémonies religieuses. Grande a dû être leur satisfaction de se voir accompagnées vers 1930 (83) par les jeux d'orgues dont le clavier est resté très longtemps confié à M. Jules Daeren. Ajoutons encore la venue de la dernière-née, la Chorale de la Fanfare Saint-André dont la baguette est maniée par M. Didier Vandeskelde.

Si la musique a constitué une forme non négligeable de loisirs pour beaucoup, il est également l'art dramatique qui a -épisodiquement, il faut l'avouer- mobilisé bien des énergies et drainé bien des foules. L'examen des groupements qui ont promu le théâtre révèle qu'il a rarement été question de pratiquer cet art pour lui-même mais que le mobile a surtout été de gonfler les caisses d'associations diverses avec des monnaies sonnantes et trébuchantes, ce qui n'a rien enlevé à la qualité des spectacles présentés (84). 

La première apparition se fait vers les années 1920 avec l'épicier Gauthier, ancien acteur ainsi que son épouse du Théâtre Ambulant, qui provoque des représentations dans une tente élevée dans la rue Dansette.
En 1922 la Fanfare Saint- André se lance dans l'aventure et propose ses premières pièces dans un grenier de la Rangée Dumez.
L'année 1925 voit venir la troupe du Patronage des Filles; la suivante, celle de la Chorale Saint-André qui deviendra autonome sous le nom de Cercle Dramatique Bizétois. En 1937 le vicaire Vuilsteke lance ses Jocistes dans l'expérience. Peu après, à partir de 1941, le Cercle Dramatique de la Saint-André propose son répertoire jusqu'après la fin de la seconde guerre.


En 1949 le vicaire Druart met sur pied la troupe du Patronage des Garçons. On lui retrouve des successeurs de 1964 à 1971 sous la direction du vicaire J. Hollaert, période où le Patronage des Filles réapparaît avec l'initiative du curé G. Dermaux. 

Musique et théâtre ont été deux activités prépondérantes, certes, mais d'autres plus sportives ont également vu le jour durant cette période d'entre-deux-guerres. Une première qui était sportive au vrai sens du terme, à cette époque, est celle du Ramier Belge fondé en 1923 et dont la présidence fut longtemps assurée par M. Louis Walle que nous retrouverons en victime des camps nazis (85).
En ce temps-là, il ne suffisait pas de posséder des pigeons rapides mais il fallait en outre avoir des jambes agiles pour gagner les concours. Les constateurs étant rares et chers, la société ne disposait que de quelques-uns disséminés dans différents quartiers du village. Il fallait donc, dès que le pigeon était "tombé", lui ôter la bague-témoin pour l'apporter dans les délais les plus brefs là où le constat faisait preuve. C'était du sport, du vrai. 

Une autre association qui a vu le jour dans ces années-là est celle du Sport Ouvrier regroupant ses adeptes pour pratiquer l'haltérophilie. Lancée sous la présidence de M. Victor Vanraes, elle a connu un certain renom notamment lors de la victoire aux Championnat du Nord (86). 

En 1932 le Sporting Club Bizétois organise ses premières rencontres. Promu à l'initiative des frères Vanuxeem qui mettent un stade à sa disposition, il sera appelé à une longue destinée puisqu'il a servi de fondation à l'Union Sportive Bizet-Ploegsteert formée en 1972 (87). 

Dès 1935, c'est le Cyclo-Club Bizétois qui se lance... dans la course. La présidence est confiée à M. Léon Dekeirschieter. Les professionnels et les amateurs qui en sont issus porteront les couleurs du club à la fois haut et loin (88). 


Une dernière innovation, sportive à ses heures, fut l' inauguration du service de transport reliant le Bizet à Ypres. Vers 1926 M. Jean Cousin, dit "Jean-Fait-Tout", fait l'acquisition d'un véhicule automoteur et organise un service régulier partant de la rue Dansette. Les horaires sont élastiques et les haltes demandées au moyen d'une chaise placée devant la maison de qui veut emprunter la voiture. La patience et le ciel aidant, il était possible d'arriver à destination. L'aspect sportif de l'expédition se révélait tout à fait lorsque, dans les multiples côtes de la route, il fallait descendre et pousser le véhicule ! 


Ajoutons encore pour achever ce tour d'horizon des loisirs qui sont nés entre les deux guerres la formation de groupements de jeunes dont les jours furent tantôt fastes et tantôt humbles: le Patronage des Filles, la JOC, la Gymnastique Féminine,...